"Affreux, sales et méchants !"
Qui ça ?
Lundi 2 octobre. Afin de mieux procéder à une évacuation forcée du campement de Roms et à la désintégration de leurs biens, on a gentiment demandé aux enseignants du colège Toulouse-Lautrec de reporter leurs cours du lundi et on a tranquillement fermé l'établissement.
L'argument affiché était d'éviter la circulation des élèves au milieu des allers-retours des camions-bennes et des pelleteuses.
Mais on a voulu extraire les élèves de la scène, surtout parce qu'on sait que ce spectacle affligeant est une honte pour la France et une image totalement contradictoire avec les discours institutionnels appelant à la mémoire de la Résistance et de la persécution des Juifs et des Tziganes pendant la seconde guerre mondiale, à l'antiracisme, à la solidarité ou encore au refus du dénigrement des pauvres.
Raté ! Les élèves auront vu les familles non relogées, restées à l'abandon devant le collège, sans aucune solution pour s'abriter. Ils auront parlé avec elles. Ils auront quand même assisté aux derniers balais des pelles mécaniques et auront eu le temps d'être émus, outrés ou révoltés par cette ignominie infligée à des êtres humains.
Que leur répondre ? Comment leur donner ensuite des cours d'éducation civique et... "morale", Messieurs, s'il vous plaît ?!
Les élèves auront vu la destruction. En trois jours, la Mairie a été capable de vider et araser un camp alors qu'elle n'a pas été capable depuis 10 ans d'aménager les abords du collège pour que les voitures se garent correctement et que les élèves puissent se mettre à l'abri.
Sur la centaine de personnes réfugiées dans ce camp de misère, 1/3 des personnes n'avaient pas de proposition de relogement ; 1/3 n'ont été relogées que provisoirement dans des hôtels ; 1/3 enfin ont eu des propositions municipales de relogement, mais parfois totalement invivables. Qui accepterait à 75 ans passés de devoir aller vivre dans un appartement au 4e sans ascenseur, après avoir vécu toute sa vie en plein air ? Qui accepterait une colocation forcée avec un autre famille inconnue ?
Bien sûr, il ne fallait pas abandonner ces familles à leur sort. Bien sûr, un camp sans murs, fenêtres et portes isolantes, ça peut gêner les activités d'un collège et perturber la vie quotidienne des riverains. Bien sûr que la misère et le rejet drainent des situations sociales alarmantes, avec leur lots de délinquance et de violences insupportables.
Mais qu'est-ce qu'une politique, dans un des pays les plus riches du monde et dans une ville, dont les édiles se rengorgent qu'elle soit la 4e de France, qui dégage d'abord et s'enquiert ensuite, brièvement, des dégâts causés ?
Pourquoi fermer le camp avant même d'avoir permis à chaque famille de trouver un espace de logement digne, qui convienne à son mode de vie et qui soit intégré à l'espace collectif ?
Combien de fois faudra-t-il répéter que c'est à la République d'intégrer les nouveaux venus et non aux individus de s'intégrer ? Parce que la société républicaine est forte, beaucoup plus forte et puissante, que des individus qui fuient la misère et les persécutions, beaucoup plus solide et riche que des familles qui cherchent leur place au soleil.
En quoi sommes-nous concernés, nous salarié-es de l’Éducation nationale ?
D'abord parce que tout cela se fait sous nos yeux, que nous les fermions ou non, que nous cherchions ou non à nous en distancer.
Ensuite, parce que ce camp était rempli d'élèves en âge d'aller à l'école. Des élèves que nous accueillons si mal, auxquels nous n'offrons que si peu d'échappatoire quand ils se présentent dans nos classes surchargées, inaptes à accueillir des enfants si éloignés de l'école.
Enfin, parce que l'argent existe pour une société plus égale, pour une société du partage et de la convivialité. Et que c'est à nous, à notre sueur quotidienne, que les plus riches confisquent les deniers qui pourraient servir à établir les moyens d'une vie digne pour tous. Pourquoi le généreux homme - souvent un homme - de la classe moyenne, dont fait partie le jeune professeur dynamique - s'inquiète-t-il si facilement de la dilapidation de l'argent public qui pourrait servir à la solidarité avec les plus déshérités, alors qu'il ne s'émeut pas de la dilapidation de l'argent public que les plus riches réalisent en se servant sur le dos des salarié-es qu'ils paient au lance-pierre ou en volant carrément massivement la Sécurité sociale ou le Trésor Public ?
Que faire ? Au moins nous indigner ; au moins nous élever par la parole, auprès de toute autorité, contre des actes aussi barbares. Ce sera toujours mieux que de ricaner, à travers des blagues aussi potaches que racistes, destinées à mieux se mettre à distance... au point de devenir imperméable.
À lire absolument sur le site IAATA :
Ginestous - été 2017 : destruction d'un camp historique au profit de l'aménagement d'un golf.
À voir absolument :
La poudrerie 2 de Christian Lichiardopol
Journal d'un maître d'école de Vittorio de Seta.
Poligono sur de Dominique Abel