Projet : « chant d’hommage aux combattants tombés... »
Lettre ouverte de la CGT Educ'action 31
Les enseignant·es ne sont ni des supplétifs, ni des sergents recruteurs de l’armée.
Non au bourrage de crânes et à l’embrigadement !
Monsieur le Recteur,
Nous avons pris connaissance avec stupeur de votre courrier du 17 janvier aux Chefs d’établissement ayant pour objet la « réalisation d’un chant d’hommage aux combattants tombés en opérations extérieures ».
Par ce courrier il est demandé aux enseignant·es des classes de 3ème de notre académie de travailler à l’écriture d’un chant « en hommage aux militaires tombés au champ d’honneur ».
Ce projet, à l’initiative du Délégué Militaire Départemental Adjoint, ne manque pas de nous étonner.
Au-delà du cadre extrêmement strict qui ne laisse aucune place à l’initiative personnelle tant le cahier des charges est contraint, ce projet s’apparente clairement à une forme d’embrigadement sans aucun regard critique sur ce qu’est une armée et sur les conséquences des guerres en général et des choix politiques en matière « d’opérations extérieures ».
En juillet 2017 nous avions eu l’occasion de dénoncer le sujet du Brevet pour l’épreuve d’EMC dont la question était la suivante :
« Vous avez été choisi(e) pour représenter la France au prochain sommet de l’Union européenne. Vous êtes chargé(e) de réaliser une note pour présenter une mission des militaires français sur le territoire national ou à l’étranger. Montrez en quelques lignes que l’armée française est au service des valeurs de la République et de l’Union européenne. »
Et déjà nous écrivions que :
« Au moment où la France, engagée dans des guerres dont on ne parle que bien peu, continue de bombarder allègrement en Afrique et en Asie sans que l’on sache bien sur qui tombent ces bombes, où des soldats sont fortement soupçonnés de viols en toute impunité sur des enfants, notamment en Centrafrique, et avec le rôle toujours pas éclairci de l’armée française dans le génocide rwandais de 1994, voilà que l’on exige des élèves de troisième de dresser un portrait obligatoirement flatteur d’une institution que chaque citoyen doit être en droit de remettre en cause. La façon dont est posé le sujet ainsi que le document proposé ne laissent que peu de place à la « raison critique ».
Aujourd’hui ce projet, pour lequel vous incitez fortement l’adhésion des personnels de notre institution, prétend « mettre en avant les valeurs de la nation ».
La nation est un mot que l'on retrouve aujourd'hui dans les bouches de nombre de nos dirigeants, mais comme tout concept, il mérite d'être historiquement et philosophiquement questionné au sein de nos enseignements. Et non d'être institué comme un dogme.
Mais de quelles valeurs parle-t-on lorsque l’on constate que la situation n’a malheureusement pas évolué favorablement et que la France fait encore aujourd’hui le choix d’une « présence militaire » aux conséquences humaines dramatiques comme le massacre, par un bombardement de l’aviation militaire française le 3 janvier 2021, de plus de 20 civils réuni·es pour célébrer un mariage dans le Village de Bounty au Mali ? De quels « extérieurs » parlez-vous, parle-t-on ici ? Quelles sont ces opérations ? Et qui sont ces militaires « tombés ». Au nom de quelles valeurs des peuples de France ? La liberté ? La fraternité ? L'égalité ?
Dans une période où la situation internationale ne manque pas de nous inquiéter par une course aux armements qui se poursuit, et des conflits qui, loin de s’atténuer, s’accentuent avec toujours pour conséquences des drames humains plus effroyables les uns que les autres au seul profit de groupes industriels et financiers, il nous parait plus judicieux d’élever l’esprit critique de nos élèves, citoyen·nes en devenir, sur les enjeux des conflits qui traversent le monde, sur les intérêts des différents acteurs qui participent à ces guerres et sur les choix politiques opérés, qui correspondent à une époque gouvernementale et qui n'ont pas vocation à devenir des fondamentaux de notre société.
Le drame que constitue le décès de soldats, engagés dans des opérations militaires sanglantes au prétexte de « valeurs » et à des milliers de kilomètres de leur foyer, ne peut et ne doit pas servir à masquer la réalité d’une politique impérialiste qui ne dit pas son nom.
Monsieur le Recteur nous travaillons au quotidien avec et auprès de nos élèves et nous avons l’ambition de les voir devenir des citoyen·nes éclairé·es et émancipé·es, capables de réfléchir et de construire leur destin et si possible de ne pas les voir revenir, dans quelques années, dans une boite en carton qu’on aura parée d’un drapeau !
Plutôt que de contribuer à un embrigadement mortifère, nous préférons travailler avec elles·eux à comprendre la devise de notre République : « Liberté, Égalité, Fraternité ».
Nous trouvons déplorable que vous associiez notre institution à ce qui n’est autre qu’une mascarade propagandiste qui tend à transformer les élèves, dont on prétend vouloir développer l’esprit et la raison critiques, en porte-parole d’un gouvernement parmi les plus engagés militairement depuis plusieurs décennies.
Ce projet s’inscrit dans la continuité d’un rapprochement entre l’armée et l’éducation avec notamment le SNU (Service National Universel) pour lequel l’ensemble des Rectorats sont mis à contribution pour pousser des centaines de milliers de très jeunes adolescent·es à intégrer l'armée. Les équipes enseignantes de l'Éducation nationale n'ont pas vocation à se transformer en agence d'intérim de l'armée.
Le SNU, expérimenté une première fois en 2019 sur 13 départements, avait accueilli 2000 jeunes agé.e.s de 15 à 17 ans. Au prétexte d’un « séjour en cohésion » encadrés par des adultes, dont des militaires, il est proposé à ces jeunes d’effectuer des activités telles que « lever des couleurs », « salut au drapeau », « Marseillaise »..., tout cela en uniforme dans une « brigade ». Et comme cela ne suffit pas, le SNU se poursuit au cours de l’année à travers un module de « découverte de l’engagement » de 84 heures minimum qui sera un « service rendu à la nation ».
La CGT a toujours milité pour la paix entre les peuples et réaffirmé son exigence de voir cesser au plus vite toutes les interventions militaires dans le monde, à commencer par celles engagées par la France.
Le SNU comme les protocoles école-armée ne sont rien d’autre qu’un outil au service d’une propagande et d’un embrigadement militariste adressée à la jeunesse.
La CGT Éduc’action 31 tout en exigeant l’abandon du SNU comme dispositif d’embrigadement de la jeunesse, vous demande de cesser ces « partenariats » et de laisser aux élèves qui nous sont confiés de construire leurs choix, bref de les conduire à l'émancipation.
Retrouvez et diffusez cette lettre ouverte de la CGT Éduc'action 31 au Recteur au sujet du rôle d'embrigadement militaire que les autorités éducatives veulent faire jouer à l'école.