Lettre ouverte à Madame Vallaud-Belkacem,
Ministre de l'Education nationale,
sur 6 mois de lutte au collège Bellefontaine
ou retour sur un mouvement social
face à la désinformation et à la déformation des faits.
Madame la Ministre,
Du 27 novembre au 16 décembre 2015, 35 enseignants sur 40 et la quasi- totalité de la vie scolaire du collège Bellefontaine de Toulouse entamaient une grève sur l’application de la réforme de l'éducation prioritaire, notamment dans les REP+. Dès le début du mouvement, le Principal a refusé le dialogue et est entré dans une logique d’affrontement et de dénigrement des collègues grévistes. Il a rompu le dialogue social avec le soutien du Rectorat de Toulouse
À la suite du mouvement de grève, les collègues ont subi toutes sortes de mesures de répression: de la baisse de notes administratives à l'empêchement la réalisation de projets prévus de longue date avec les élèves. Cela a été suivi d’une suspension à titre conservatoire d'une de nos collègues PE, au titre, fallacieux, d'un mail présenté par l'administration comme menaçant. La répression s'est poursuivie fin mai 2015 par la « mutation dans l'intérêt du service » de 5 autres collègues, considérés comme « meneurs » par le Principal et la Rectrice. Des procédures disciplinaires ont également été ouvertes à l'encontre de ces collègues. Enfin, notre collègue suspendue s'est vu convoquée devant une commission disciplinaire.
Depuis le lundi 22 juin, une enseignante du collège Bellefontaine de Toulouse a entamé une grève de la faim devant le Rectorat de Toulouse. En arriver là montre à quel point le dialogue social est en faillite dans l’académie de Toulouse.
Revenons au mouvement social de 3 semaines du mois de décembre 2014 qui visait la mise en œuvre de la réforme de l’éducation prioritaire, pendant lequel les enseignants et les personnels d’éducation du collège Bellefontaine n’ont jamais pu avoir la moindre écoute, à défaut de considération ni de respect. Ce qu’il faut d’abord dire, c’est que leur mouvement était légitime et leurs revendications justifiées. On n’a jamais voulu les écouter car l’administration est toujours restée sur des postures administratives, des logiques comptables, sans jamais prendre en compte la réalité du terrain, des élèves, de la pédagogie.
Car la première divergence est bien là : les équipes du collège avaient initié une innovation pédagogique en transformant les cours de 55 minutes en cours de 100 minutes. Tous les enseignants, surtout ceux de collège, savent que dans un début de cours, plusieurs minutes sont consacrées au retour au calme et à la mise au travail. En outre, les interclasses étaient souvent le lieu des incivilités, de la dispersion. Les séances de 100 minutes avaient contribué à un climat beaucoup plus serein (réduction des incivilités), et à d'excellents résultats (83% de réussite au brevet des collèges 2014) pour ce collège relevant de l’éducation prioritaire dans ce quartier délaissé du Mirail. En refusant de voir cette réalité de terrain et en opposant une comptabilisation étroite et bornée du temps, pour refuser la pondération prévue dans la réforme REP+, l’administration rectorale a montré combien elle était éloignée des élèves, de la pédagogie, de la réalité de l’acte d’enseigner.
Cette revendication, de même que la deuxième revendication: avoir les moyens nécessaires pour assurer l’accompagnement éducatif et la troisième revendication qui demandait que les AED touchent la prime REP, n’avaient rien de corporatistes. Ce mouvement social n’était pas minoritaire, ce n’était pas le fait d’une bande d’excités comme le Rectorat, des parents et certains médias ont pu le laisser entendre. Il s’agissait d’un mouvement légitime conduit par une très grande majorité de collègues, soudés par des années de pratique, de travail commun, d’expérimentation, d’investissement pédagogique dans le cadre de l’éducation prioritaire. Dans ce quartier du Mirail, en grande difficulté sociale, les personnels éducatifs assurent encore un peu de service public. Le mouvement social visait d'abord le sort des élèves, pour effectivement « donner plus à ceux qui ont le moins ». Au lieu de cela, le principal a répondu par l’insulte, l’institution par le dédain, de l'Inspecteur d'Académie adjoint à la Rectrice.
C’est dans ce contexte qu’il faut envisager le courriel pour lequel a été mise en cause une collègue de la SEGPA, courriel qui lui a valu d’être traduite devant le conseil de discipline. Le Rectorat a sciemment refusé d'en faire une lecture correcte et continue à feindre de ne pas en comprendre la véritable signification.
L’équipe enseignante et éducative était en grève depuis plus de 15 jours ; le dialogue était au point mort, la journée avait été très tendue avec une action de blocage de parents en soutien au mouvement – l’association de parents « L’école et nous », hostile au mouvement des enseignants, qui a été très médiatisée et dont le discours a même justifié les décisions du rectorat ne représente pas, loin s’en faut, tous les parents et un certain nombre d'entre eux ont soutenu la grève. Une nouvelle confrontation tendue a lieu dans la journée entre le principal et certains enseignants.
Le soir sur la liste de diffusion créée à l’occasion de la grève, les grévistes discutent de l’action à poursuivre, dans une discussion très sérieuse, où est évoquée l’éventualité de poursuites juridiques contre le principal ; l’une des enseignantes demande si quelqu’un connaît des avocats ou des personnes avec des compétences juridiques dans son entourage dans le but de porter plainte contre les outrages du Principal. Il est 23h45, c’est le vendredi 12 décembre au soir : notre collègue, qui défend l’idée que le mouvement social est avant tout sur la réforme et ne veut pas en faire un conflit avec le principal – cela revient dans de nombreux témoignages –, répond par une boutade.
Au lieu de prendre ce message dans son sens premier, comme s’est acharnée à le faire l’administration, ne pouvait-on en faire la seule lecture qui convienne : celle du second degré et de l’ironie ? Nous en avons de nombreux signes : ton du message en décalage avec le message précédent ; postulat que le principal soit incarcéré ; et ponctuation avec pléthore de points d’exclamation. La clef du message ne réside-t-elle pas dans la conclusion ?: « Restons raisonnables, mais pas trop ! ». Notre collègue signifie simplement par ce message en rupture avec le précédent que la tension doit retomber et que la voie de la judiciarisation n'est peut-être pas la meilleure.
Dans tous les cas, ce message ne peut être lu comme une menace. Termine-t-on une menace par « un bon week ! contente de ne pas avoir perdu le trompettiste ! » ? Il s’agit d’humour, rien de plus ! En outre, le message envoyé d'une boîte personnelle n'est pas adressé au Principal et notre collègue n'a jamais souhaité que le Principal en soit destinataire. Mais non, l’administration refuse d’envisager cette lecture.
Le plus ubuesque est à venir. Selon ce qu'il a notifié dans sa plainte, le principal a connaissance du mail par la transmission que lui en aurait fait un personnel dès le lundi 15 décembre. Et que se passe-t-il ? Rien. Toujours d’’après ses dires, il en aurait informé sa hiérarchie, mais, d'après l'Inspecteur d'Académie, sans fournir le mail en question, et il a continué, comme si de rien n’était, à croiser notre collègue et à la saluer. Notre collègue, quant à elle, a repris les cours avec ses collègues le 19 décembre, et a complètement oublié ce courriel.
Dès la reprise des cours après les vacances de Noël, la répression à l'égard des grévistes commence : baisse de notes administratives, annulation de projets, intimidations, humiliations. Les incidents se multiplient et sont notifiés dans le Registre Sécurité et Santé au Travail (plus d’une centaine au total).
Le 27 février, une intersyndicale est reçue par l’Inspecteur d’Académie : le but est de l’alerter sur le climat détestable et les pressions subies par les personnels. C’est lors de cette audience qu’est évoquée pour la première fois l’existence d’une présupposée menace de mort, ce qui stupéfie tout le monde. Et c’est le 4 mars que notre collègue, par un appel du commissariat, comprend que la plaisanterie qu’elle a faite plus de 2 mois plus tôt entre collègues grévistes serait à l’origine d’une plainte du principal le 16 février pour « menaces de mort ».
Commence alors un véritable cauchemar pour notre collègue. Le 2 avril elle est suspendue par mesure conservatoire. Rien d’objectif ne justifie une telle mesure (mesure d’urgence employée dans des cas extrêmes pour préserver l’intérêt du service). En l’occurrence, c’est plutôt en la suspendant que l’intérêt du service est perturbé ! Les collègues sont atterrés, les élèves dans l’incompréhension et la déstabilisation, les projets menacés, alors qu’il s’agit d’élèves de SEGPA qui ont encore plus besoin de cadre et de stabilité.
Notre collègue, quant à elle, est profondément atteinte. A-t-on mesuré les dégâts humains d’une telle mesure pour quelqu’un d’aussi engagé et investi professionnellement que notre collègue ? Nous avons recueilli des dizaines de témoignages sur son professionnalisme, son charisme, son investissement, et surtout son souci permanent de l’intérêt des élèves. Tous les rapports professionnels à son sujet l'indiquent : ils sont très élogieux. A-t-on mesuré l’opprobre subi par cette collègue, les rumeurs pouvant être colportées par la presse qui se délecte de ces soi-disant menaces, allant jusqu’à déformer les propos et en faire une « retranscription » mensongère comme a pu le faire Le Monde dans son article du 21 juin, allant jusqu’à indiquer comme La dépêche du 27 juin qu’elle « aurait échangé des mails avec son chef d’établissement » ?
Notre collègue a essayé la voie du dialogue, en demandant à rencontrer l’inspecteur d’académie et en envoyant une lettre d’excuses au principal. Notons qu’avant cette audience à sa demande le 7 mai, notre collègue n'a jamais été sollicitée, ni par le Principal, ni par le Rectorat pour s'expliquer. Dans l’audience du 7 mai, l’inspecteur d’académie, reconnaît son erreur et retire l'expression de « menace de mort » qu'il avait « trop rapidement employée ».
Le 27 mai, le classement sans suite de la plainte du principal vient confirmer l'abus de langage de l'administration. On espère enfin un peu d’apaisement et le retour à la raison…
Mais entre temps, le Rectorat a choisi la voie de la répression. Le principal est muté avant l’heure, ce qui montre bien sa responsabilité dans ce désastre et son incapacité à résoudre ce conflit. Mais suivant un curieux jugement de Salomon, il aurait été décidé de procéder à des mutations en échange de son départ : un principal contre 6 enseignants !
Le 22 mai, 5 enseignants apprennent qu’ils sont l’objet de procédures disciplinaires et de mutations dans l’intérêt du service.
Le 27 mai, c’est au tour de notre collègue d’être convoquée pour une commission disciplinaire le 18 juin 2015. Il y aurait beaucoup de choses à dire sur cette commission et les pratiques de ces instances. Notons seulement que la référence à la « menace de mort » qui avait été abandonnée lors de l’audience avec l’inspecteur d’académie réapparaît. A cela s’ajoute un nouveau grief « mauvais positionnement institutionnel », grief qui s’appuie sur une prise de position prise par notre collègue en tant que représentante des personnels, grief que l’administration retire en commission disciplinaire, de même que la notion de « menace de mort », devant la réalité des faits et les contradictions mises en lumière par les débats.
Malgré la vacuité du dossier, malgré le fait que le Rectorat retire des griefs devant la démonstration des faits qui mettent en défaut les affirmations du principal sur lesquelles repose le dossier, malgré le parcours exemplaire de notre collègue, l’Inspecteur d'Académie persiste dans sa volonté de sanctionner. C’est la sanction « déplacement d’office » qui est proposée et recueille 10 voix pour et 10 voix contre. C’est donc à l’inspecteur d’académie de notifier sa décision. La CAPD est en cohérence avec les CAPA du matin qui sont arrivées à la même égalité de vote quant aux mutations dans l’intérêt du service des 5 collègues.
Madame la Ministre, arrêtons la spirale infernale ! Où est la faute professionnelle quand il s’agit d’un trait d’humour dans un cadre non professionnel, lors d’une conversation privée entre collègues ? Notre collègue suspendue n’a-t-elle pas été assez sanctionnée par sa suspension provisoire, par les rumeurs, l’opprobre, le fait d’être privée de son travail, d’être soustraite à ses élèves sans pouvoir leur fournir d’explications ? Où est l’intérêt du service quand on s’en prend à 6 piliers de l'établissement, souvent à l'initiative de projets pédagogiques solides, reconnus par leur professionnalisme et complètement investis au service de l’éducation prioritaire et des élèves ?
Si l’administration persistait dans sa volonté de sanctionner notre collègue de SEGPA et de procéder à des « mutations dans l’intérêt du service », l’Éducation Nationale donnerait le signal de l'arbitraire, de l’autoritarisme, et de la répression syndicale, certainement pas celui de la justice et de la raison, certainement pas celui de l’intérêt des élèves de l’éducation prioritaire.
Madame la Ministre, la Rectrice de Toulouse n’a jamais reçu les organisations syndicales sur cette question, elle .s’est refusée au moindre dialogue, elle semble vouloir rester sur ses certitudes et ses postulats, enfermée dans son positionnement et sa posture d’autoritarisme, comme en témoignent ses déclarations à « radiobleue Toulouse » évoquant encore des sanctions à venir, et balayant d’un revers de main tout le travail construit par les équipes enseignantes les années précédentes pour mener les élèves à la réussite
Madame la Ministre, il n’est pas possible que l’Éducation Nationale, qui se veut garante de valeurs universelles soit ainsi le théâtre d’une telle injustice et de telles décisions, il n’est pas possible que des enseignants s’exposent dans leur intégrité physique : non seulement une collègue en grève de la faim, mais aussi des collègues profondément atteints et traumatisés par l'abîme qui s'est ouvert sous leurs yeux, entre les valeurs démocratiques qu'ils défendent tous les jours devant les élèves et les pratiques autoritaires qu'ils sont en train de vivre et que leur fait subir un État censé les combattre.
Madame la Ministre, la détermination des 6 sanctionné-e-s et de leurs collègues, l’ampleur de la solidarité autour de cette lutte, ont contraint le Rectorat à un premier recul en abandonnant les poursuites disciplinaires et en renouvelant tous les contrats précaires de l'établissement. Mais le Rectorat persiste dans la volonté de procéder aux mutations forcées, qui s’apparentent dès lors à des sanctions déguisées. . Dans la dépêche du 27 juin la Rectrice déclare « Il est clair que nous ne voulons plus voir à la rentrée ceux qui ont pourri l’ambiance au collège », refusant de voir la responsabilité des autorités hiérarchiques dans le pourrissement du climat de l’établissement, et désignant les collègues en cause comme les meneurs qu’il suffirait d’écarter pour faire revenir le calme, occultant la dimension collective du mouvement social qui regroupe encore aujourd’hui 90% des personnels dans plusieurs journées de grève en juin en solidarité avec leurs collègues.
Nous vous demandons d’intervenir pour que revienne la raison, qu’on arrête ce gâchis et qu’on reprenne enfin la voie du dialogue, afin d’envisager la rentrée dans la sérénité. Cela passe par la levée des sanctions et le maintien des 6 collègues en poste au collège Bellefontaine.
Soyez assurée, Madame la Ministre, de mon attachement au service public d’éducation et aux droits des personnels.
Corinne Vaulot,
Secrétaire départementale de la CGT Educ’Action 31
Membre du bureau de l’UD CGT 31
Membre de la Commission Exécutive de l'UNSEN – CGT Educ’Action